Un accord international méconnu, mais menaçant
Au sortir de la Guerre froide, les pays de l’Union européenne ont cherché à instaurer un cadre réglementaire commun avec les anciens pays du bloc soviétique pour optimiser leurs relations énergétiques.
C’est ainsi qu’est né en 1994 le Traité sur la charte de l’énergie, un accord international signé par 53 pays, dont tous les pays de l’UE, le Yémen, le Japon et l’Afghanistan. Le texte prévoyait une liste assez complète de règles régissant les échanges sur le plan énergétique des nations signataires.
Or, les ambitions climatiques des vingt-sept exigent justement une profonde révision de leur politique énergétique, un changement qui sera forcément préjudiciable aux entreprises énergétiques. Ces dernières ont donc le droit de poursuivre l’UE et tout pays signataire du TCE souhaitant remodeler leurs industries énergétiques, et leur réclamer des dommages et intérêts colossaux.
130 procédures légales engagées dans le cadre du TCE
À une époque où la sensibilisation aux enjeux climatiques semble acquise, on pourrait penser que les investisseurs et les compagnies énergétiques suivront volontiers les politiques plus écologiques des gouvernements. Mais le monde des affaires et des relations internationales est beaucoup plus complexe. Soucieuses de leurs intérêts financiers, les industries fossiles voient assez mal le désintéressement progressif de l’opinion et des gouvernements concernant leurs activités.
Nombre d’entre elles n’ont pas hésité à le faire savoir en usant du levier réglementaire offert par le TCE. Depuis son instauration, le Traité a été invoqué à 130 reprises devant les tribunaux par des compagnies qui se sentent lésées par les nouvelles politiques environnementales des gouvernements. Plus de la moitié de ces litiges, 88 exactement, impliquent des firmes présentes en Europe.
L’Allemagne, par exemple, a dû assouplir ses restrictions environnementales pour une centrale à charbon, après une plainte de la compagnie suédoise Vattenfall. La même entreprise a dénoncé le choix des dirigeants outre-Rhin de sortir du nucléaire.
En France, la firme canadienne Vermilion a usé de la menace du TCE pour faire plier le gouvernement sur la loi sur les hydrocarbures. Résultat, en 2017, le texte final de cette loi a été largement modifié et les permis d’exploitation pétrolière continuent d’être délivrés par le pays. D’autres affaires similaires ont eu lieu en Bulgarie, en Italie et aux Pays-Bas.
Le virage résolument écologique pris par l’UE devrait multiplier les différends du même genre. Les affaires traitées dans le cadre du TCE ont coûté environ 85 milliards de dollars aux pays signataires.
Les prévisions tablent sur 1 500 milliards de dollars de dommages, intérêts et pénalités à débourser d’ici 2050, si la tendance actuelle se poursuit et qu’aucune modification du cadre réglementaire du TCE n’est faite.
L’Europe souhaite une modernisation du TCE
Le TCE, quoique très ancien, continue donc de peser sur les décisions politiques d’une cinquantaine de pays. Face à la menace financière brandie par les investisseurs et les multinationales de l’industrie fossile, les gouvernements font souvent des concessions qui les empêchent de mener à bien la transition énergétique. Cette situation inquiète au plus haut point l’UE, dont les pays membres ont pris des engagements forts en faveur de l’environnement.
Tant que le TCE existe dans les termes actuels, les grandes sociétés de l’industrie fossile disposeront d’un puissant outil leur permettant de retarder l’adoption d’énergies plus propres.
Plusieurs groupes de réflexion, comme Transnational Institute et Corporate Europe Observatory appellent donc à une révision complète de cet accord, de façon à le rendre compatible avec les nouvelles ambitions climatiques des pays signataires.
La Commission européenne a aussi engagé les démarches pour moderniser le traité. Les eurodéputés ont organisé deux rounds de négociations en 2019 et en 2020, sans grand succès pour le moment.
Toutefois, le pouvoir de nuisance de ce traité d’un autre âge ne perdurera pas indéfiniment. Consternée par les discussions qui patinent, la France a demandé aux vingt-sept d’envisager une sortie du TCE en cas d’échec des pourparlers.
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