Les difficultés inhérentes aux politiques publiques à deux vitesses
La France, tout comme l’Europe en général, s’efforce de légiférer sur les pollutions au carbone des acteurs industriels. La COP21 s’est d’ailleurs révélée déterminante pour mobiliser les structures non étatiques dans les efforts visant à limiter la hausse globale de la température mondiale.
Au sortir de ce sommet, les grands groupes industriels ont promis de réduire significativement leurs rejets de CO2 dans l’atmosphère. ArcelorMittal confirme, par exemple, son ambition de neutralité carbone en 2050, avec un objectif intermédiaire de 30 % de réduction de ses émissions carbone en 2030.
L’allemand ThyssenKrupp a aussi promis les mêmes chiffres. Cette tendance a été initiée par Solvay en 2015, qui exprimait alors son souhait d’abaisser de 40 % son empreinte carbone à l’horizon 2025.
La mobilisation des géants de l’industrie constitue une grande victoire pour l’environnement et pourtant, ces annonces souffrent d’un manque criant de concertation et d’encadrement juridique puisque le dialogue opérationnel entre les industriels et les nations est quasi-inexistant.
Les objectifs fixés par les acteurs économiques ne s’alignent pas forcément sur ceux des dirigeants politiques, lesquels viennent d’ailleurs de relever leurs marqueurs en décembre dernier. Dans ces circonstances, les acteurs économiques pourraient se sentir isolés dans leur démarche, un sentiment susceptible de grever le peu de confiance qu’ils accordent aux pouvoirs publics.
L’instauration d’un cadre législatif et politique commun aux régions, aux territoires et à l’échelle de l’État s’avère dès lors crucial, pour prouver l’engagement des pouvoirs publics en faveur de l’environnement et rassurer ainsi les entreprises de l’industrie lourde.
Ces dernières doivent, de leur côté, se montrer ouvertes et transparentes dans leur démarche, afin de bénéficier de l’accompagnement des politiques. Cette étroite collaboration doit permettre aux pouvoirs publics d’investir massivement dans la transformation écologique de l’industrie lourde et de rassurer les acteurs économiques sur le bien-fondé de leur transition.
En Europe, ce partenariat écologique entre les politiques et les industriels commence à se matérialiser à travers les mesures environnementales du plan de relance européen, parmi lesquelles figure la taxation du carbone aux frontières. Grâce à ce dispositif, les industries du Vieux-Continent ont l’assurance d’accéder à des débouchés réservés à des produits respectant des normes environnementales strictes, cette garantie étant fondamentale dans la poursuite de leurs investissements dans des technologies de fabrication plus vertes.
Des barrières économiques et technologiques à contourner
Avant les enjeux politiques, la décarbonation de l’industrie lourde doit d’abord relever les défis économiques qui lui sont propres. Par définition, l’industrie lourde requiert d’énormes investissements initiaux avant de lancer sa production. Une cimenterie, par exemple, a besoin d’importants capitaux pour financer la construction d’une usine de transformation et formaliser la logistique entre cette centrale et le site d’extraction des matières premières.
Pour rentabiliser ces investissements, l’entreprise a tout intérêt à prolonger au maximum la durée d’exploitation et maintenir la production de l’usine à un rythme soutenu. Or, les normes environnementales au moment de la constitution de l’actif perdent de leur pertinence au fur et à mesure de l’évolution des procédés de transformation et des législations.
L’absence de politique d’investissements continus bloque aussi toute tentative de réduire l’intensité carbone de l’usine. On se retrouve alors face à des sites de production vieillissants et extrêmement polluants, un problème commun à la France et à l’ensemble des pays d’Europe.
Au final, cette activité produit trois-quarts des émissions de CO2 de l’industrie manufacturière en France. Le défi qui se dresse face à l’industrie lourde consiste donc à engager un processus de décarbonation très coûteux en temps et en capitaux, tout en conservant sa compétitivité et en préservant l’ensemble de la chaîne de valeur, en amont comme en aval.
La transformation du secteur exige d’ailleurs un changement radical du mix énergétique, toujours très dépendant des matériaux fossiles. L’industrie doit également adopter des procédés de fabrication plus efficaces et fondés sur des matières premières issues de la filière recyclage. Le troisième axe porte sur l’intégration de techniques de stockage et de captation du carbone, à condition que ces procédés ne pèsent pas trop lourd sur les finances des entreprises et ne souffrent pas d’une quelconque barrière technologique.
Malheureusement, la technologie de capture du carbone qui existe actuellement est encore trop chère et trop peu adaptée aux activités de l’industrie lourde. Des innovations de rupture constituent donc une priorité, mais pas que, ce secteur doit aussi déterminer une trajectoire d’investissements claire et viable pour se constituer des actifs durables et performants sur le long terme.
Les solutions « ouvertes », capables d’accueillir de nouveaux ajouts technologiques, répondent parfaitement à ces exigences. Encore faut-il trouver le bon compromis et les bons capitaux pour engager des investissements lourds à la fois dans les technologies matures et dans les procédés de fabrication d’avenir relevant de la R&D.
Placer la décarbonation de l’industrie au cœur des débats
L’autre grand défi de la décarbonation de l’industrie lourde consiste à sensibiliser l’opinion publique et les « experts » de la transition énergétique sur les travaux qui restent à réaliser dans le milieu. Au regard du comportement des citoyens et des médias, on pourrait en effet penser que la réduction de l’intensité carbone des entreprises industrielles est déjà bien avancée, grâce au protocole de Kyoto et son dispositif phare des quotas de CO2. Ce système, novateur certes, s’illustre pourtant par son extrême complexité et sa relative inefficacité, les cours élevés du carbone semblant atténuer son manque d’impact. La question de la décarbonation de l’industrie lourde se place ainsi en bas de l’échelle en termes d’exposition médiatique et de sensibilisation citoyenne.
Il incombe ainsi aux politiques et aux spécialistes de repositionner le thème de la réduction des émissions de CO2 de l’industrie lourde au même rang que l’agriculture, le transport et le logement.
L’idée est de présenter le processus de décarbonation comme une véritable opportunité d’innovations et de changements pour l’industrie française, et non comme une potentielle cause de délocalisation, de décroissance et de suppression d’emplois.
Le secteur attend avec impatience les retombées concrètes du plan de relance de 100 milliards d’euros annoncé par Emmanuel Macron en septembre, dont 40 milliards sont dédiés à l’industrie. Cet énorme appui financier, couplé au relèvement des objectifs de réduction de CO2 du pays semble redonner un peu d’espoir aux industriels et à tous les citoyens souhaitant contribuer à la décarbonation de l’industrie lourde et de toute l’activité manufacturière en général.
Cependant, l’espoir reste mince dans les conditions actuelles. La manière dont les pouvoirs publics jonglent avec leurs engagements environnementaux démontre clairement un manque de volonté politique.
Si le gouvernement se saisit des enjeux carbones de l’industrie lourde comme il a traité les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, l’on ne peut que s’attendre à une grande déception.
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