Des molécules nocives et des pratiques toxiques
Le danger des pesticides sur la santé et sur l’environnement est connu depuis plusieurs décennies. Certains produits phytosanitaires s’avèrent particulièrement nocifs, sur la base de critères définis par l’OMS et la FAO en 2006. Les deux organisations mondiales se refusent cependant à dresser une liste exacte de ces molécules qui représentent une réelle menace sur la santé humaine, sur les terres et sur les pollinisateurs.
Il a fallu attendre le réseau Pesticide action Network (PAN) en 2009 pour voir une première ébauche de la liste des pesticides et herbicides extrêmement dangereux. Ce funeste catalogue s’est malheureusement enrichi au fil des années. En mars 2019, l’inventaire compte 310 molécules extrêmement dangereuses, dont le glyphosate, les dérivés du mercure, les néonicotinoïdes, la carbétamide et l’acide borique, entre autres. Ce document ne tient pas compte des substances qui font encore l’objet d’études scientifiques poussées et d’analyses de toxicité et celles dont on soupçonne d’être cancérigènes.
Le document référentiel du réseau PAN, en dépit de ses solides bases scientifiques, n’a aucune valeur légale. Plusieurs substances inscrites sur cette liste continuent de faire partie de la composition de certains pesticides et herbicides utilisés dans l’agriculture industrielle. Les autorités européennes sont bien conscientes des dangers que ces molécules représentent. Elles se perdent toutefois dans des tergiversations et des gesticulations politiques infructueuses qui les empêchent de légiférer sur une interdiction de ces produits.
Pour compenser cette énorme lacune, l’Europe se repose sur le système d’évaluation mis en œuvre par l’EFSA – l’Autorité européenne de sécurité des aliments – afin d’évaluer et alerter sur les formulants toxiques des pesticides dans les denrées alimentaires. Sauf que cette « barrière » toute théorique présente de nombreuses failles, que le Professeur Gilles-Eric Séralini et Gérald Jungers ont révélées dans une étude publiée en octobre 2020.
Des traces d’hydrocarbures et de métaux lourds dans des phytosanitaires grands publics
L’article 60 de l’arrêt du 1er octobre 2019 de la CJUE se veut clair. Si un producteur ou distributeur de produit phytopharmaceutique ne déclare pas l’ensemble des substances actives contenues dans celui-ci, il s’expose à un retrait de l’autorisation de vente dudit produit. Or, c’est précisément ce que dénonce l’étude du biologiste de l’Université de Caen, qui a identifié plusieurs métaux lourds et autres molécules toxiques dans les 14 pesticides étudiés.
Outre le fait que les doses relevées soient conséquentes, ces substances ne figurent nulle part dans la demande d’autorisation soumise à l’EFSA. Elles n’apparaissent pas non plus sur l’étiquette des produits.
Les métaux lourds identifiés dans ces produits affichent pourtant un haut degré de toxicité, à l’image du plomb, du cuivre et de l’arsenic. En cas d’exposition sur une longue période, ces substances peuvent potentiellement causer des maladies de la reproduction, des maladies immunitaires et des tumeurs. La présence d’hydrocarbures polycycliques aromatiques comme le benzo [a] pyrène inquiète également le chercheur.
Sur la base de ces conclusions, le collectif « Secrets Toxiques », qui réunit quatorze ONG et associations, a rédigé une lettre très critique à l’intention de l’EFSA. Ces organisations sont soutenues dans leur démarche par un groupe de 119 parlementaires européens, français et des sénateurs, qui appellent de leur vœu une remise à plat du fonctionnement de l’Autorité européenne chargée de garantir la sécurité des aliments mis sur le marché.
Traiter le problème des pesticides par la racine
S’attaquer aux failles du système d’évaluation des pesticides par l’EFSA est déjà bien.
Le fait d’ignorer « l’effet cocktail » de ces autres formulants est clairement contraire à la décision du 1er octobre 2019 de la Cour de justice de l’Union Européenne. Une révision des procédés d’homologation des pesticides reste malgré tout insuffisante pour protéger les consommateurs de la toxicité élevée de leurs composants.
La solution la plus évidente, loin d’être la plus simple, passe par un abandon progressif de l’usage de ces phytosanitaires. Et sur ce plan, le rôle des enseignes de grande distribution se révèle déterminant. Dès 2015, Greanpeace France s’est penché sur la question et a formulé des recommandations claires aux grands groupes de distribution, aux pouvoirs publics et aux consommateurs. L’ONG part d’un constat très simple : 70 % des fruits et légumes frais consommés en France sont achetés en grande surface.
L’association lance alors la Course Zéro Pesticide, dans laquelle sont engagés les sept groupes leaders du marché en France : Monoprix, Casino, Leclerc, Intermarché, Auchan, Magasins U et Carrefour. Cette initiative cherche à encourager la grande distribution à réduire l’utilisation de pesticides.
Greenpeace mesure la progression des enseignes sous le prisme de trois indicateurs :
- Leur transparence vis-à-vis des consommateurs sur l’utilisation de pesticides dans la production des denrées alimentaires présentes dans leur rayon.
- Les dispositifs de soutien (financiers, techniques et organisationnels) mis en place pour accompagner les agriculteurs dans leur démarche d’abandon des pesticides.
- Les engagements concrets pour éliminer en priorité les phytosanitaires les plus dangereux dans la culture des fruits et légumes.
Fin 2020, l’organisation a publié les résultats de la « course », dans un bilan qui reste plus que perfectible.
Des enseignes plus conscientes, mais peu impliquées
Le rapport de Greenpeace note d’abord l’évolution générale des mentalités dans la grande distribution. Globalement, les enseignes reconnaissent le problème des pesticides dans les denrées alimentaires.
Cette prise de conscience résulte à la fois des campagnes de sensibilisation d’associations comme Générations Futures que d’un changement de comportement des consommateurs, lesquels exigent plus de transparence et moins de phytosanitaires. Greenpeace constate ainsi la mise en œuvre d’actions plus ou moins concrètes, visant à abandonner le recours aux pesticides.
Ces changements demeurent malgré tout trop faibles et trop lents pour avoir un impact notablement sur l’usage des pesticides dangereux. Les actions anti-phytosanitaires ciblent essentiellement les marques de distributeurs, un segment qui représente certes d’énormes volumes de ventes, mais qui ne représentent qu’une infime partie de l’activité des enseignes.
Les enseignes ont également en commun l’absence de politique de valorisation financière pour les producteurs qui éliminent les pesticides de leurs champs et donc prennent des risques. Suivant une logique de prix bas, les distributeurs persistent à importer des fruits et légumes en grande quantité, et ce, dans la filière bio comme dans le secteur conventionnel.
La conclusion de Greanpeace est sans appel : presque aucune de ces enseignes n’a vraiment réussi à réduire l’usage de pesticides.
Tout le monde en sortirait gagnant, l’industrie alimentaire elle-même, mais surtout l’environnement et les consommateurs.
Cet engagement implique des investissements coûteux et une hausse des tarifs en rayons, une réévaluation qui risque de crisper les consommateurs habitués aux prix bas. Le modèle de ces compagnies, fondé sur la quête du profit, survivra-t-il à ces bouleversements ? Ces grandes enseignes sont-elles réellement prêtes à des concessions sur leurs ventes et leur organisation pour faire reculer l’usage des pesticides ? En regardant la lente avancée des cinq dernières années, on se pose sérieusement la question.
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