Un système à l’opposé du paradigme européen
Le Pacte vert de la Commission européenne prévoit d’investir massivement dans le verdissement de tous les secteurs de l’économie, y compris le complexe agro-industriel.
Il prône notamment une agriculture capable de répondre aux défis futurs posés à l’UE, tout en maintenant sa durabilité en termes environnementale, sociale et économique. Dans les faits, la PAC ou Politique agricole commune européenne, retranscrite en lois au niveau national, apporte peu de changement au système agricole conventionnel actuel.
Le soutien à l’agriculture biologique a même diminué dans certains pays, comme en France.
Dans son étude, le biogéochimiste promeut un système agricole entièrement biologique, qui ne servirait pas uniquement à « nourrir les riches » comme certains le prétendent actuellement.
L’expert du CNRS milite en faveur d’une agriculture plus harmonieuse et plus durable, qui ne s’inscrit pas dans la continuité de l’agriculture conventionnelle très dépendante de l’utilisation d’intrants synthétiques, comme les fertilisants et les pesticides.
Le chercheur fonde beaucoup d’espoir dans son scénario qui mérite un soutien maximal, tant sa proposition surprend par sa pertinence et son aspect novateur.
Le bio pour assurer la souveraineté alimentaire de l’Europe
Selon les défenseurs de l’agriculture intensive telle qu’on la connaît actuellement, les engrais chimiques sont incontournables pour garantir l’autonomie alimentaire de l’Europe, dont la population n’a de cesse de croître depuis les années 1950.
Selon les projections actuelles, il y aura plus de 600 millions de bouches à nourrir en Europe à l’horizon 2050.
Face à cette perspective, les décideurs maintiennent pour le moment leur confiance à l’actuel système, celui-ci ayant déjà fait ses preuves.
Le modèle de l’UE repose donc pour le moment sur une intensification des cultures, permettant simultanément de réduire les surfaces agricoles exploitées et de libérer plus d’espaces naturels grâce à l’augmentation spectaculaire de la productivité.
- Limiter les pertes d’azote sous toutes ses formes (ammoniac, protoxyde et nitrates) dans l’environnement.
- Rétablir la qualité du sol, de l’air et de l’eau dans les espaces agricoles.
- Réduire drastiquement l’empreinte environnementale de l’agriculture.
Les auteurs de l’étude précisent toutefois que le nouveau système qu’ils imaginent s’appuie sur trois modifications majeures dans la politique agricole de l’Europe. Ces leviers portent notamment sur :
- La réduction du bétail.
- L’adoption d’une alimentation plus saine et plus frugale.
- La généralisation de l’agroécologie.
Réduire le bétail pour rapprocher culture et élevage
Jusque dans les années 1950, le modèle agricole européen s’était toujours appuyé sur le rapprochement entre l’élevage et la culture. Le bétail se nourrit des herbes et du fourrage sur des prairies riches en légumineuses.
Les agriculteurs utilisent ensuite ses déjections pour fertiliser les terres arables. Avec la généralisation des fertilisants synthétiques, entretenir un cheptel près des cultures s’est révélé inutile, poussant ainsi les exploitants à hyperspécialiser leurs champs.
Les régions les plus fertiles, comme l’Ile-de-France, ont ainsi développé des monocultures de céréales à une échelle industrielle, tandis que dans les territoires moins fertiles, comme en Bretagne, on a privilégié l’élevage.
Cela a engendré des paradoxes des plus surprenants. La France importe, par exemple, du soja et des céréales en grande quantité en provenance d’Amérique latine pour nourrir son bétail. Elle exporte également des céréales... pour la consommation humaine.
Ce système permet de recycler de manière optimale les déjections animales, tout en luttant contre l’appauvrissement en matières organiques et en carbone des sols. Le rétablissement de la polyculture-élevage est conditionné au calibrage de la taille du cheptel dans chaque région, en fonction de sa capacité à produire du fourrage.
Limiter les protéines animales
Au fur et à mesure que l’Europe s’est enrichie, sa consommation de protéines d’origine animale est montée en flèche.
Plus de la moitié de ces apports protéiques proviennent des animaux, soit 61 %.
Les auteurs de l’étude suggèrent de plafonner les apports protéiques d’origine animale à 30 % et de compléter les 70 % par des protéines végétales. Dans le détail, on parle d’une alimentation constituée à de céréales à 45 %, de 10 % de légumes-graines et de 15 % de fruits et légumes frais, auxquels on ajoute 30 % de poissons, œufs, lait et viande.
La proposition du directeur de recherche du CNRS se rapproche plus d’un régime frugal de type méditerranéen ou crétois, une alimentation fortement recommandée par les diététiciens.
Si toute la population européenne applique ces recommandations, la production agricole du Vieux-Continent se délestera d’une grande partie de la pression qui pèse sur elle.
Cela permettra à terme de réduire davantage les surfaces de sols cultivées et de laisser ainsi plus de place à la nature.
Généraliser une agriculture bio et rotative
Le troisième levier du scénario du CNRS repose sur l’abandon des engrais chimiques et autres intrants synthétiques, au profit d’un modèle entièrement axé sur l’agroécologie.
Ce système donne la priorité aux rotations de cultures longues et diversifiées. Dans ce mode de culture, l’exploitant alterne les cultures de légumineuses fixatrices d’azote, comme la luzerne et le trèfle – destinées à alimenter le bétail – et les cultures céréalières (pois chiche, lentille, etc.).
Les rotations de cultures sur deux ou trois ans attirent en effet différentes espèces sauvages, qui éliminent naturellement les chenilles, pucerons et autres nuisibles.
La responsabilité partagée entre les décideurs et les consommateurs
Selon les chercheurs du CNRS, le scénario d’un modèle agroécologique adopté au niveau européen va permettre de diviser par deux les échanges de produits agricoles entre pays européens.
Le continent pourrait encore continuer d’exporter des produits animaux et des céréales dans le reste du monde. En revanche, les importations de produits céréaliers, surtout le soja sud-américain, seront entièrement abandonnées, ce qui constitue une excellente nouvelle sachant les conséquences désastreuses de ces plantations sur l’Amazonie et les autres complexes forestiers du Brésil (La déforestation importée).
Encore faut-il que la proposition de l’équipe du CNRS soit entendue et appliquée par les décideurs politiques et économiques. Gilles Billen se dit optimiste, malgré les signaux contraires aperçus entre les lignes de la nouvelle Politique agricole commune de l’UE.
Si l’on vous demande, aujourd’hui même, de rationner votre consommation en jambon, en gouda, en tartare de bœuf et en poulet, comment réagiriez-vous ?
Le défi, pour ces chercheurs, consiste donc à convaincre la population et les politiques de la nécessité d’un tel changement au quotidien.
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