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Décarbonation de l’aviation : le biokérosène est-il vraiment la solution ?

Image par Bilal EL-Daou

Transport

Décarbonation de l’aviation : le biokérosène est-il vraiment la solution ?

Par la rédaction

Le 02/08/2021 et modifié le 24/01/2022

Le secteur de l’aviation émet à lui seul 2 % des rejets de CO2 mondiaux dans l’atmosphère. C’est une quantité énorme, compte tenu de sa taille par rapport aux autres activités et par rapport au nombre de passagers transportés chaque année. 

Pour corriger cette anomalie, les autorités européennes souhaitent accélérer l’adoption des biocarburants par tous les avions de ligne. Cette transition se heurte à un certain nombre d’obstacles et soulève en même temps des questions sur la pertinence écologique du biokérosène

 

Une situation d’urgence et des solutions en attente

Le ciel européen et mondial s’est quelque peu éclairci pendant un peu plus d’un an, après la fermeture des frontières et les interruptions de vols causées par l’épidémie de Covid. Le répit fut de courte durée. Dès le début de l’année 2021, les vols commerciaux reprennent progressivement partout en Europe, en Amérique du Nord et en Asie, jusqu’à atteindre des sommets à l’approche de l’été.

Mi-juin, le trafic aérien revient pour la première fois à un niveau observé pour la dernière fois en décembre 2019, avec plus de 200 000 vols sur une journée. Sur le plan économique, ce retour en forme est une bonne nouvelle. Mais pour l’écologie, cette reprise ne correspond pas vraiment aux bonnes résolutions des États, des pouvoirs publics et autres acteurs désireux de réduire fortement l’empreinte carbone de l’aviation.

Dans son dernier rapport, l’Agence internationale de l’énergie a rappelé le chemin qu’il reste à parcourir pour avoir une industrie aérienne neutre en carbone

Les entreprises du secteur devront — selon l’Agence internationale de l’énergie — incorporer au moins 45 % de biocarburants dans leur réservoir et accepter de limiter les vols long-courriers, si elles souhaitent contribuer à l’effort environnemental de leur secteur. 

Les vols domestiques ne sont pas épargnés : ils émettent jusqu’à 60 fois plus de carbone, à distance parcourue et nombre de passagers équivalents, que le train.

L’allègement de l’empreinte carbone de l’aviation implique donc de remplacer les vols court-courriers par des trajets en train. Toutes ces mesures pourraient aider à stopper, ou du moins à freiner, la croissance du trafic aérien mondial, selon l’agence. Et c’est quasiment la seule alternative viable en ce moment, connaissant les barrières qu’il reste à franchir avant d’avoir des avions alimentés à 100 % par des biocarburants.

 

Un problème d’approvisionnement plus qu’un défi technique

Les entreprises qui travaillent sur des moteurs d’avion fonctionnant avec des biocarburants à 100 % sont nombreuses. En juin 2021, la startup Global Bioénergies a même réussi à faire voler un bimoteur doté d’un moteur à pistons entre Reims et Sarrebruck, en Allemagne, avec comme seul carburant de l’essence obtenue à partir de bois et de betterave. 

Airbus et une dizaine de partenaires prévoient aussi de tester en l’air un A320 Neo – donc un avion à réaction – alimenté par du biokérosène à 100 % avant la fin de l’année 2021.

Ces prouesses technologiques confirment les dires d’un responsable du groupe Safran, qui considère que le passage des avions commerciaux au 100 % biocarburant est loin d’être un énorme défi technique. 

Il suffit de procéder à des ajustements au niveau des pompes et des joints des moteurs, et de régler quelques problèmes liés à certaines molécules qui manquent aux biocarburants, comme les aromatiques par exemple. L’industriel pourra seulement demander une certification après ces modifications.

Malgré cette relative simplicité, l’aviation bas carbone n’a jamais vraiment décollé. Les certifications actuelles plafonnent la part de biocarburants à 50 % pour les avions de ligne. 

Cette limite est aussi liée à la faible disponibilité des SAF (Sustainable Aviation Fuel) sur le marché. La production mondiale s’élevait à seulement 50 millions de litres l’année dernière, un volume qui devrait doubler cette année, selon l’Association du transport aérien international. À titre de comparaison, l’aviation commerciale mondiale a brûlé 286 millions de tonnes de kérosène en 2018.

 

Des SAF pas encore « safe » économiquement

La production encore limitée des biocarburants dans le monde illustre les hésitations des industriels, pour qui les enjeux financiers et économiques priment sur la volonté de contribuer à la décarbonation du transport aérien. On ne peut pas vraiment les blâmer sur ce point. Dans un système économique mondial basé sur la croissance, la rentabilité des entreprises garantit la survie de millions de travailleurs dans le monde, dont les salariés des sociétés des acteurs de l’aviation civile.

Cette vérité concerne également les groupes comme Suez, gestionnaire de déchets, appelé à jouer un rôle majeur dans la production des biocarburants. Pour ce groupe français, la décision d’accentuer la transformation de la biomasse déchets en SAF repose avant tout sur des considérations économiques. À l’heure actuelle, le marché n’est pas encore suffisamment mature pour justifier des investissements lourds dans le domaine et la compagnie sait de quoi elle parle.

En France, une seule usine possède actuellement la capacité de produire du biocarburant à grande échelle. Il s’agit de l’ancienne raffinerie de Total basée à La Mède, en Provence. Le géant des hydrocarbures a dépensé 275 millions d’euros pour la conversion du site. 

Cette unité de production utilise des ressources qui n’entrent pas en concurrence avec les matières premières alimentaires, conformément aux exigences des autorités françaises.

L’usine transforme principalement les déchets issus de l’agroalimentaire, de la filière bois, la lie de vin, le fumier et les algues en biocarburants. 

Vu les coûts inhérents à la logistique exigée par la collecte de ces déchets et l’adaptation des infrastructures des aéroports, sans oublier la forte demande des compagnies aériennes pour un produit rare, le biokérosène se négocie à prix d’or sur le marché : il coûte quatre fois plus cher que le carburant classique des avions à réaction. 

Il faudrait que tous les acteurs de cette filière naissante s’organisent pour former un modèle viable économiquement et soutenable financièrement par les consommateurs.

 

Un gain environnemental incertain

Il reste enfin la question, primordiale de l’écologie : les biocarburants sont-ils vraiment moins polluants que le kérosène issu des hydrocarbures fossiles ? 

L’IATA estime que oui, du moins pour les SAF produits à partir de déchets ménagers communs. Ce biocarburant rejette 5,2 g de CO2 par mégajoule d’énergie produite, selon l’organisation, contre 89 grammes/mégajoule pour le kérosène traditionnel

Cela représente 94 % de CO2 en moins.

Tous les biocarburants n’offrent pas le même bénéfice. Le biokérosène issu de l’huile de palme, par exemple, produit 99,1 g de CO2 par mégajoule d’énergie, soit 11 % de plus que le kérosène fossile. 

Cet écart s’explique par le fort impact environnemental de cette ressource lors de sa production, qui cause d’énormes destructions de zones forestières en Asie du Sud-est. Si l’on fait abstraction de cette exception, la baisse d’émissions de CO2 générée par les SAF se situerait entre 80 et 85 % selon le ministère de la transition écologique.

Cette estimation ne prend pas en compte les performances très contestées des biocarburants dits «  de première génération », obtenus à partir des matières premières alimentaires comme les huiles végétales (palme, soja, tournesol, colza, etc.) et les produits agricoles tels le maïs, le blé, la canne à sucre et la betterave. 

La raison en est simple : ces biocarburants n’ont d’écologique que le nom. Leur processus de production provoque des déforestations, encourage les cultures intensives qu’on sait déjà très polluantes et n’empêche pas les changements d’usage des sols, qui affectent les capacités d’absorption des puits de carbone naturels.

C’est pourquoi les pouvoirs publics français multiplient les lois et mesures financières en faveur des biocarburants de seconde génération (résidus forestiers et agricoles) et de troisième génération (obtenus à partir de bactéries et d’algues)

Le gouvernement prévoit ainsi d’imposer un taux d’incorporation minimum de 5 % de biocarburants dans l’aviation civile à l’horizon 2030, avec des paliers intermédiaires à 1 % en 2022, puis 2% en 2025. Cette initiative, certes louable, ne fait pas vraiment l’unanimité, surtout chez les ONG et les défenseurs de l’environnement. 

Pour Greenpeace, la solution la plus évidente reste la plus efficace : réduire le trafic aérien mondial.

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